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Dossier de l'amphithéâtre de Québec : un suivi des démarches juridiques de la ville

13 juin 2011

Beaucoup d’encre a coulé ces derniers mois relativement à l’entente intervenue entre la ville de Québec et Québécor concernant la gestion du futur amphithéâtre de la ville de Québec.

La ville de Québec, menée par son maire Régis Labeaume, a signé, sans soumettre le tout à un processus d’appel d’offres public, une entente avec Québécor pour l’exploitation du futur amphitéâtre multifonctionnel de la ville, financé presque entièrement par des fonds publics.  Ainsi, l’entente prévoit que Québécor, si elle obtient une franchise de la Ligue nationale de hockey (ci-après «LNH»), versera près de 2,5 millions par année à titre de commandite pour que l’amphitéâtre porte son nom, en plus de verser cinq (5) millions par année à la ville en loyer, plus une redevance de 10% à celle-ci sur les profits générés par l’exploitation de son amphithéâtre.

Plusieurs intervenants du monde municipal se sont interrogés sur la validité d’une telle entente sans avoir procédé à un appel d’offres public, à l’heure où l’éthique en matière de culture municipale devient si importante aux yeux du public et du législateur qui a récemment resserré les règles à cet égard.  Ces préoccupations sont à notre avis tout à fait légitimes, car la manière de procéder de la ville de Québec apparaît, à sa face même, ne pas être en accord avec les dispositions de la Loi sur les cités et villes (la LCV).

En effet, l’article 573 de la LCV exige que tout contrat impliquant une dépense de 100 000$ ou plus ne peut être adjugé qu’après une demande de soumissions publiques.  De plus, l’article 28 de la LCV empêche une municipalité de construire un immeuble aux fins principalement de le louer.  Or, comme mentionné plus haut, Québécor versera cinq (5) millions par année à la ville de Québec si une équipe de la LNH s’y installe, à titre de loyer.  Nous ne sommes pas convaincus que cette entente soit conforme aux exigences de l’article 28 de la LCV.

Vu l’incertitude concernant la légalité de l’entente avec Québécor, ainsi que l’épée de Damoclès qu’une contestation judiciaire ferait peser au-dessus de celle-ci par un citoyen (ce qui s’est en effet matérialisé par la présentation d’une requête en nullité qui a été présentée devant la Cour supérieure du Québec), la ville de Québec a dû s’adresser à l’Assemblée nationale afin de requérir l’adoption d’un projet de loi d’intérêt privé- le projet de loi 204- dans le but de valider l’entente avec Québécor.

Un projet de loi d’intérêt privé concerne des intérêts particuliers ou locaux et donc une portion restreinte de la population, comme une municipalité, une personne morale ou un particulier.  Toute personne peut donc s’adresser à l’Assemblée nationale du Québec aux fins de demander l’adoption d’une telle loi.

Le projet de loi est présenté par à l’Assemblée nationale non pas par le biais du gouvernement, mais à l’initiative d’un député, dans ce cas-ci une députée de la région de Québec, qui parraine le projet de loi.  Un projet de loi d’intérêt privé, par définition, vise normalement un problème très spécifique et s’applique strictement aux personnes visées textuellement par le projet de loi.

À toutes les sessions parlementaires, de tels projets sont présentés et adoptés.  Les projets de loi présentés par les municipalités visent généralement à les autoriser à agir d’une manière que la loi, dans sa forme actuelle, ne lui permet pas.  D’où l’intervention du législateur pour régulariser cette situation.  Il s’agit donc d’une procédure très fréquente et d’un procédé qui s’inscrit tout à fait dans le respect de nos institutions démocratiques.  Ainsi, c’est la prérogative des parlementaires  démocratiquement élus de régulariser une situation particulière à laquelle la loi ne permet pas de trouver une solution autrement.  Aussi, la protection conférée à une municipalité contre des recours judiciaires est également très fréquente dans ce type de lois.

Nous sommes surpris que le Barreau canadien ainsi que le Barreau du Québec aient condamné l’adoption du projet de loi 204 concernant la ville de Québec sur la base que celui-ci brimerait le droit des citoyens de contester la légalité de  l’entente.  Selon cette théorie, le projet de loi, en empêchant toute contestation judiciaire par les citoyens, brimerait les droits fondamentaux.  Or, aucune article des Chartes des droits et libertés ne traite du droit à saisir les tribunaux de demandes en justice et par ailleurs, comme nous l’avons mentionné, c’est la prérogative des députés élus de régulariser une situation par ailleurs possiblement illégale, s’ils jugent que l’intérêt collectif et l’urgence de la situation le requièrent.

Puisque le projet de loi a été déposé tardivement, l’unanimité est requise pour faire adopter le projet de loi privé concernant la ville de Québec.  Aussi, au moins un député du Parlement a manifesté l’intention de ne pas l’appuyer.  En conséquence, il aurait probablement fallu suivre la procédure ordinaire d’adoption des lois publiques, afin de permettre possiblement à la ville de Québec mais aussi à d’autres municipalités de procéder sans appel d’offres pour confier à des tiers des contrats de gestion d’amphithéâtres municipaux.  Le premier ministre Jean Charest ayant toutefois annoncé que cette voie ne serait pas suivie, les débats concernant l’entente entre la ville de Québec et Québécor sont reportés à l’automne.

La nécessité d’adopter une loi dans le présent dossier dans le cadre de l’entente entre la ville de Québec et Québécor nous fait penser que cette entente ne respecte sans doute pas les formalités imposées par la Loi sur les cités et villes.  Si l’Assemblée nationale régularise cette situation en adoptant une loi, cette entente sera définitivement à l’abri de futures contestations judiciaires.  Plusieurs diront que ce procédé n’est pas conforme avec l’esprit des changements apportés à législation municipale ces dernières années quant aux règles d’adjudication des contrats municipaux, mais il faut souligner cependant qu’il existe une différence entre le projet d’amphithéâtre à Québec, dont plusieurs étapes du projet ont été rendues publiques, et le fait d’accorder en cachette des contrats municipaux à des entrepreneurs peu scrupuleux dans le but de s’avantager personnellement.

Pour plus d'information

Me Pierre-Marc Boyer
Québec
Canada
Me Pierre-Marc Boyer
Municonseil avocats inc.
pmb@municonseil.com
514-954-0440

Me Pierre-Marc Boyer pratique dans le domaine du litige et du droit administratif.

Il a acquis une expérience de plaideur devant les tribunaux et a participé à la rédaction de nombreux écrits juridiques en droit municipal.

Chez Municonseil, il se spécialise dans les litiges impliquant les municipalités.