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Tout ce que j'ai Compris des Vacances Tout Compris ?

1 avril 2010

Je ne suis pas un « snowbird ». Lorsque je n’en peux vraiment plus de l’hiver qui s’accroche, je n’ai pas l’habitude de fuir vers le sud. Mais là oui… Fin février - début mars, j’ai décidé d’aller me faire chauffer la couenne au soleil, sans me casser la tête. J’ai donc délaissé mon « habituel » circuit européen, pour me taper de petites vacances dans le Sud, et comme le font la plupart des Québécois dans une formule « tout compris ». Vous savez, le type de vacances où les seules questions existentielles qu’on se pose sont « Dans lequel des sept restos de l’hôtel on va souper ce soir? » » ou « Est-ce que je me commande un 6e piña colada avant de faire ma sieste, à l’ombre d’un parasol fait de feuilles de palmier? » Vous connaissez sans doute la formule, si vous êtes allé ne serait-ce qu’une fois à Cuba, au Mexique ou en République dominicaine. Moi, je me suis retrouvé en Jamaïque. « Yeah Mon! » comme on dit là-bas! Et mes amis et moi, on a choisi l’hôtel presque aussi facilement qu’on commande un trio Big-Moche dans un resto de hamburgers. Il n’y avait qu’à cliquer et choisir; la destination, le vol, l’hôtel, le prix, incluant repas et drinks, bref, des vacances tout compris. Mais est-ce qu’on avait vraiment tout compris?

Jusqu'à ici tout baigne, dans la mer comme dans la piscine ? Vous conviendrez sans doute qu’on travaille assez dur comme ça, qu’on mérite bien de pouvoir décrocher quelques jours au soleil. C’est non seulement légal, mais c’est surtout salutaire, oui salutaire… D’autant plus qu’à première vue, un consommateur responsable ou qui tente de le devenir a le droit à des vacances, ne serait-ce que pour se récompenser de ses efforts quotidiens pour en venir à consommer moins et mieux, et diminuer son empreinte écologique. Mais est-ce que ces vacances dans le Sud sont si salutaires que ça pour tout le monde??? Moi le routard au sac a dos, défenseur de l’approche sans trace et de l’écotourisme (detail_chronique.php?ID=361734), j’ai décidé de pénétrer dans l’antre de la mangouste, pour en avoir le cœur net. Pour vous en parler en toute connaissance de cause j’ai donc expérimenté la populaire formule touristique du « tout compris ». Et n’ayez pas peur, j’ai de nouveau décidé de compenser les GES émis par mon vol, en achetant des crédits carbone, cette fois chez Carbone Boréal (https://carboneboreal.uqac.ca), une solide initiative de la Chaire en Éco-Conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui m’a permis de diminuer l’impact négatif de mon voyage.

Non, mais c’est quoi ces insinuations ? Quel est le problème, me demanderez-vous? Le tourisme c’est bon, non? Ça fait « rouler » l’économie? Oh ça, oui! Ça fait rouler et même voler l’économie. Même que l’industrie du tourisme, avec des recettes de 3 milliards de dollars par jour, et 250 millions d’emplois, est désormais la première industrie mondiale en importance (https://www.unwto.org/facts/menu.html) devant l’agroalimentaire, l’armement et la pétrochimie. Oui gringos! Or avec un nombre exponentiel de touristes, soit 1 milliard en 2010 (15 fois plus qu’en 1960) et 1,6 milliard en 2020, le phénomène ressemble plus à la charge d’une horde d’éléphants sauvages qu’à une poétique quête d’exotisme. Certains des plus beaux sites de la planète, Machu Picchu, Venise, ou Angkor au Cambodge, voient carrément leur intégrité menacée par l’achalandage démesuré qu’ils doivent supporter. Quand ce n’est pas par la dégradation physique des lieux provoquée par l’envahissement proprement dit, ce l’est par la transformation des lieux, qu’on dénature en y aménageant hôtels, stationnements et boutiques pour y accueillir encore plus de touristes avides d’exotisme. Et dire que ces voyageurs sont en quête de paradis… Cela dit, et sachant qu’on ne fait jamais d’omelette sans casser des œufs, c’est quand même payant non, le tourisme, pour les pays du Sud?

La question est pertinente. J’ai déjà été de ceux qui croyaient mordicus que le tourisme était un phénomène bénéfique. Ça me semblait non seulement positif pour moi et les miens, lorsque venait le temps de rechanger nos batteries, mais je me disais que ça devait aussi être bienfaisant et profitable pour l’économie des pays que je visitais. Au fil de plusieurs beaux voyages en Grèce, en France, en Allemagne, en Belgique, en Hollande et en Italie, j’en étais persuadé. Faut dire qu’habituellement, je loge toujours soit chez l’habitant, ou dans de petits hôtels ou gîtes appartenant toujours à des gens de la place, de plus, je fuis les circuits touristiques prémâchés. Mais en Jamaïque, j’ai eu la confirmation de ce que j’avais pressenti ces dernières années.

Un petit séjour d’une semaine dans le Sud, peut vous coûter 800 $ si vous êtes drôlement chanceux ou si vous êtes à la dernière minute, et jusqu’à 2000 $ si vous êtes obligés de le prendre en pleine période de pointe, comme lors de la semaine de relâche. Mais sachez qu’indépendamment du pays choisi, à peine 15 % de cette rondelette somme revient vraiment à l’économie locale, bref aux citoyens des pays que vous visitez. Le reste, c'est-à-dire la presque totalité de votre « investissement » vacances, va dans les poches des grandes transnationales américaines, britanniques et françaises ou bien comme en Jamaïque, aux groupes hôteliers majoritairement espagnols qui ont investi les lieux. C’est légal!  Et c’est sur, ces grands hôtels créent de l’emploi. Sauf qu’avec un taux de chômage variant de 11 à 14 %, en Jamaïque par exemple, ces employeurs ont le beau jeu et l’embarras du choix, et en profitent pour se « payer » des employés jamaïcains à 80 ou 90 $ par semaine, et ce, non pas pour 5 mais bien 6 jours. C’est donc dire que pour se payer pareille vacance un Jamaïcain devrait y consacrer ce qu’il gagne en 6 ou 8 mois. Sharmaine, notre préposée aux chambres, m’a avoué qu’avec quatre jeunes enfants, elle devait trimer très dur et arrivait à peine à joindre les deux bouts. Voilà pourquoi, en plus de pourboires en dollars, nous lui donnions avec plaisir et en signe d’appréciation, des articles scolaires et de bricolage pour ses petits mousses. J’ai vu tant d’Américains et de Canadiens sur le party,  faire la navette des 9 h du matin entre leur chaise longue et le bar, pour remplir leur méga Boc thermos de 2 litres, sans leur donner un seul pourboire, que je me suis dit que de toute évidence, ils n’avaient pas tout compris sur les hôtels tout compris.

Je connaissais bien peu la Jamaïque. À part la musique de Bob Marley et de Peter Tosh, j’avais fumé plus de Jamaïcain (à une lointaine époque)  que j’en avais vraiment connu. Et je ne peux pas dire qu’un séjour comme celui-là visait à me faire découvrir vraiment ce qu’est la Jamaïque. Non, mais, la découverte de nouveaux horizons n’est pas supposée être le but des voyages? Faut croire que non. Certains vacanciers préfèrent en effet s’y retrouver en vase clos, et surtout entre compatriotes. Car notre magnifique et très confortable hôtel colonial (du fait sans doute de ses colonnes et de ses colons) était bien artificiel. Clôturés, cloisonnés, sécurisés, gavés et blanchis, bien loin de la réalité locale, nous vivions dans une belle « forteresse » qui n’avait rien à voir avec la vraie Jamaïque. On y faisait de tout, sauf y découvrir vraiment le pays et surtout ceux qui y habitent. Le personnel, charmant, a beau être jamaïcain, le rhum local a beau coulé a flot, et quelques plats ont beau être « jerk », c'est-à-dire épicé au gout de l’Ile, est-ce ainsi pour autant, que ces hommes (et ces femmes) vivent ? Oh… On nous propose bien quelques excursions, bien encadrées, ne serait-ce que pour aller magasiner quelques souvenirs (souvent confectionnés ailleurs) mais je me suis demandé après réflexion, qui au juste, d’eux ou de nous, vivaient dans un ghetto? Comme j’aime souvent le faire lorsque je visite un pays que je ne connais pas, j’ai voulu aller voir de près les gens, leurs écoles, leurs épiceries, leurs rues… qui nous en apprennent beaucoup plus que les hôtels enclavés.

On aura pris soin de nous dire qu'en dehors de la « zone sécurisée » c’était à nos risques. Mais moi j’ai toujours trouvé que c’était ce qu’il y a de plus intéressant, et de loin de qui est le plus riche en enseignement lors d’un voyage, pour la simple raison qu’on l’expérimente, plutôt que de l’observer de notre autocar. Non, mais, gang de paranos… Suffit simplement d’appliquer les mêmes règles de sécurité élémentaires qu’on appliquerait chez nous au Québec. Il risque fort de ne rien arriver de fâcheux si vous suivez les règles du GBS, c'est-à-dire gros bon sens; n’exhibez pas de clinquants bijoux ou de sac à mains griffés, fondez-vous dans le décor, abstenez-vous d’exhiber ou de compter vos dollars en public, et ne faites pas par exprès pour vous promenez seul dans des quartiers louches à 3h du mat. Vous aurez ainsi autant de chance qu’il ne vous arrive rien de désagréable dans le sud, que dans certains quartiers de nos villes québécoises, belges ou françaises, la nuit venue.

Je suis donc parti en taxi avec mon ami Martin dans un petit village voisin, le vrai village, celui le Lucea (prononcez Lucy), parce qu’il n’était pas question de rester encabanés dans notre château. On était sans contredit les deux seuls gringos visibles du village, n’empêche que… Rien de bien malheureux ne nous est arrivé, bien au contraire. Ce qu’on y a vu valait le voyage, car c’était à nos yeux, l’essentiel. On y a vu de beaux enfants au sortir de l’école… des écoliers, d’abord un peu craintifs puis soudainement si près de nous,  des joueurs de cricket (autre relent du colonialisme), des vieillards attachants avec qui ont a jasé de démocratie,  des sourires… Du monde… enfin, du vrai monde. Même un Rasta Man qu’on avait voulu photographier un peu effrontément, dans notre quête d’exotisme, nous a donné une belle leçon de vie. « Je ne suis pas un objet » nous a dit l’homme aux longs rastas blancs, en nous regardant droit dans les yeux et nous suggérant à l’avenir de demander la permission.

Je ne suis pas un expert en écotourisme, ni en tourisme éthique ou équitable, mais je crois fermement que c’est cette dimension humaine que j’aime le plus lorsque je voyage. D’ailleurs quand j’y pense, je me suis toujours efforcé de ne pas débarquer en pays étrangers avec mes gros sabots de Nord-Américain... C’est presque un défi en soi, quand on sait que le but de bien des voyageurs est de faire exactement le circuit que leur proposent les guides Let’s Go, Routard ou Michelin. Le but pour plusieurs se limite en effet à « cocher » les sites proposés par le guide qu’on a vu et photographié, même mal, pour pouvoir le montrer aux chums au travail. Et je sais de quoi je parle pour avoir déjà suivi ce modèle…  Non, mais, je préfère et de loin désormais, non plus seulement voir, mais me perdre en chemin, découvrir, et surtout simplement vivre avec les gens. J’ai de vibrants souvenirs de petites tavernas grecques dans certains ports des îles Cyclades, fréquentées uniquement par des locaux et non par les touristes. Après quelques jours seulement nous faisions presque, je dis bien presque, partie des meubles. Je dois être un peu fleur bleue, mais j’ai un réel plaisir à essayer de commander mes repas en grec lorsque je suis en terre grecque, comme j’aime faire mes emplettes avec le vrai monde, en Toscane, dans la Pláka ou en Provence. Ça fait partie intégrale du plaisir de voyager, et ça m’en apprend tellement plus qu’une visite guidée…

Je ne dis pas que jamais plus je n’irai dans un hôtel tout compris. Il ne faut jamais, parait-il, dire jamais. Mais la vie étant bien courte, je ne crois pas que ce sera mon prochain choix de vacances, car ça ne me ressemble vraiment pas. À peine 3,5 % des humains ont la chance et les moyens de voyager dans le monde, et de partir en vacances à l’autre bout du monde. J’essaierai d’en profiter à l’avenir pour renouer avec des voyages qui me nourrissent, me nourrissent vraiment, et ce à tout les points de vue. Et il n’est pas dit que pour de prochaines destinations, je n’opterai pas pour un véritable voyage de découverte, proposé par une « nouvelle » approche, celle du tourisme solidaire ou équitable, qui mise bien sur le dépaysement et les joies d’être au soleil, mais qui est aussi, au Sud un véritable outil au service du développement des communautés locales (https://www.tourisme-equitable.qc.ca).

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François Thibouthot
Adresse: Journaliste chroniqueur
Québec
Canada
François Thibouthot
Journaliste chroniqueur

François Thiboutôt est journaliste et chroniqueur. Fort de 25 ans d'expérience à l'antenne de Radio-Canada, TQS, Télé-Québec et TVA, il consacre désormais son travail de communicateur engagé, à vulgariser les grands enjeux de la consommation responsable et du développement durable. François Thiboutôt agit aussi comme consultant auprès d'entreprises et d'institutions désireuses de prendre un véritable virage vert. Il est membre de l'AProDD (Association des Professionnels en Développement Durable) Au sein de l'Agence de conférenciers en environnement et développement durable « Terre à Terre » il présente aux quatre coins du Québec, sa conférence portant sur l'empreinte écologique intitulée « L'Urgence d'une Consommation Responsable ».