Le jeudi 16 mai 2024
RIM

Les Emballages qui m'Embalent

26 octobre 2009

J’adore ma « mission ». Chaque année, je dois bien couvrir une bonne quarantaine de colloques, congrès, séminaires, forums, symposiums et rendez-vous nationaux et internationaux, reliés de près ou de loin à ce qui me passionne, c'est-à-dire le développement durable, l’environnement et la consommation responsable. Mais j’ai beau être de nature passionnée, il est plutôt rare que je m’emballe, que je m’emballe vraiment.  Toujours est-il que je reviens presque  emballé, du colloque « Produire et consommer autrement » orchestré par Eco-Entreprises et Recyc-Québec, (https://www.ecoentreprises.qc.ca/francais/produire_consommer_autrement.html) La rencontre se penchait sur un méchant défi, et j’ai nommé ; L’incontournable nécessité de changer en profondeur nos façons de produire et de consommer. D'entrée de jeu, je vais vous faire un aveu. Le thème a beau être passionnant, ce ne sont pas les conférences et tables rondes et surtout pas les cérémonies protocolaires  qui m’ont vraiment emballé. Ce que j’ai apprécié le plus, ce sont les nombreux à-côtés, réflexions et questionnements « collatéraux », sans compter quelques incidents riches en enseignement, que je vais me faire un plaisir de vous raconter. Ça m’a rappelé, vous savez quoi ? Que l’enfer est plus que jamais pavé de bonnes intentions.

Dès mon arrivée au Delta Centre Ville de Montréal, un hôtel qui a obtenu la cote de 4 clés vertes de l’Association des Hôtels du Canada (https://www.greenkeyglobal.com/cleverte.asp), les organisateurs m’ont fièrement remis une clé USB. Vous savez ce petit gugusse, pardons, cette petite mémoire électronique pas plus grosse que votre pouce, et qui permet de stocker des données, comme du texte, des images et de la musique. Plutôt que de m’offrir la sempiternelle pochette de presse classique en papier, on a opté pour ce petit messager plastique d’à peine quelques grammes (photo ci-contre). J’ai donc d’abord souri et j’ai même dit «  Bravo ! », je crois, un peu téteusement. Je me disais que l’idée était bonne parce que c’était sans doute moins nocif pour l’environnement que du papier et de l’encre.  Non, mais c’est vrai, puisqu’on peut sauvegarder nos données sans avoir à les imprimer et en plus elle est réutilisable… Mais est-ce que c’était le bon choix pour autant ?   J’ai donc demandé aux gentils organisateurs, sur un ton un tantinet bravache, si leur choix était basé sur une  ACV (analyse du Cycle de Vie) pour comparer les deux options » ?  (https://www.ameqenligne.com/entrevue.asp?ID=46925) Réponse de l’organisation… ? Non ! Pas d’ACV ! OK. Ça avait au moins le mérite d’être franc.

On aurait peut-être dû travailler de pair avec nos chercheurs du CIRAIG, spécialisés dans l’analyse du cycle de vie (https://www.ciraig.org/fr/pensee.html) ? Cette clé USB de quelques grammes a beau être un bel exemple de miniaturisation, elle a tout de même nécessité l’extraction et la transformation de plus d’une vingtaine de kilos (45 lbs) de matières premières ; du pétrole pour le plastique, du cuivre, de l’acier, de l’aluminium, de la colle, du vernis, sans compter l’énergie et l’eau. C’est d’ailleurs, dans son cycle de vie, cette phase de fabrication et non son transport ou son utilisation, qui a le plus d’impact, notamment sur les ressources, la santé humaine et celle des écosystèmes. Cela dit,  pour un document de  50 pages et moins, vérification faite, on aurait du me fournir l’information sur du papier imprimé recyclé plutôt que sur une Clé USB. Par contre, pour un document de 500 pages, une Clé USB aurait été globalement moins impactante (à condition de lire à l’écran), selon un rapport publié en mai dernier par le très français CSIESR  (Comité des Services informatiques de l'Enseignement supérieur et de la recherche) (https://www.csiesr.fr/IMG/pdf/Presentation_CSIESR_ACV_support_papier.pdf).

D'ailleurs, cette clef aura beau être réutilisable, je ne serai pas plus avancé, lorsqu’au fil de 6 ou 10 événements couverts, je me retrouverai avec autant de clés USB inutiles, qui s’accumuleront comme les sacs durables qu’on nous donne presque systématiquement maintenant lors de ces rencontres. La meilleure solution, me dirait mon ami Miguel Garcia du CRIQ, un de nos rares spécialistes en écoconception, ça aurait été, tenez-vous bien, la dématérialisation!!??? Hein? La dématérialisation comme dans Star Treck? Ben non, l’entreprise aurait pu être beaucoup plus simple. Il aurait simplement suffi de m’indiquer, à moi comme aux autres journalistes, un hyperlien permettant d’avoir accès aux données sur internet, via l’ordinateur que j’ai déjà… Comme ça, on n’aurait pas eu à produire de document, ni sur papier, ni sur clé USB…

Mais revenons puisqu’il le faut bien, au colloque « Produire et consommer autrement ». On a voulu y souligner l’effort des entreprises qui ont fait de réels efforts pour rendre leurs contenants non pas verts, mais un peu plus verts… L’emballage le plus écologique étant celui où il n’y a tout simplement pas d’emballage du tout, mais cela dit…  Vous connaissez les jus Oasis ? Le fruit de leur effort depuis 5 ans, c’est que la petite bouteille individuelle de plastique pour jus de fruit de 300 ml est passée de 24 à 18 grammes… Wow! Non, mais sérieusement. Cette perte de poids de 25% aura permis de réduire de 668 tonnes par an l’emballage, ce qui n’est pas rien. Mieux encore, la fabrication et le remplissage des bouteilles à l’usine de Rougemont et une meilleure gestion des palettes et des remorques ont permis de retirer 582 camions des routes par année. Bravo Lassonde ! Mais est-ce la seule voie ? En France, un fabriquant de bouteilles d’eau, Cristalline, a tellement aminci les parois de sa bouteilles que par temps chaud, elle a peine à se tenir. Les pellicules plastiques aussi ont aminci, au point ou on doit en mettre de 2 à 3 fois plus pour compenser. Sommes-nous plus avancés ?

Et puis il y a Telus, dont l’emballage pour accessoires ne contient désormais plus aucune matière plastique, depuis qu’il est fabriqué de papier Rolland Enviro 100, composé à 100 % de matières postconsommation, et pour lequel de l’énergie des biogaz a été utilisée, sans acide et sans chlore, s.v.p. Et le vraiment très vert Yves Rocher tiens, qui innove avec une écorecharge, qui permet non seulement à la cliente d’économiser entre 17 % et 22 % du coût du produit initial, mais surtout d’utiliser 78 % moins de plastique qu’en changeant tout le petit pot. J’arrête ici le descriptif les méritas, non pas que je veuille passer sous silence leurs forts louables initiatives, mais,  si vous voulez connaître la fiche technique de tous les lauréats, voici  un hyperlien qui vous conduira à leurs fiches techniques (https://www.ecoentreprises.qc.ca/francais/produire_consommer_autrement.html).

Non, mais, je suis quand même resté sur mon grand appétit d’utopiste, en constatant, pardonnez-moi, qu’on innovait que de bien peu, dans les faits. C’est comme Naya qui s’est vu décerner un prix, car désormais sa bouteille est faite à 50 % de plastique recyclé… Désolé, mais ça ne me rend pas attractif pour autant le produit, parce que dans le fond, je n’ai toujours pas besoin de bouteilles d’eau jetables. Vous me connaissez (detail_chronique.php?ID=361739) j’ai ma bouteille durable et réutilisable. Malgré ces améliorations concrètes, l’opération me semble quelque peu cosmétique. On assainit l’emballage, mais on ne requestionne pas la raison d’être de ces produits. Moi j’aurais aimé par exemple qu’une compagnie nous annonce qu’elle n’utilisera plus d’emballage. Ou que Lassonde, lance une bouteille de jus durable et réutilisable, qu’on aurait pu remplir en vrac? Je sais, je sais que ce serait peut-être compliqué, mais là ç’aurait été une petite révolution.

Faut dire que de changer, de changer réellement et concrètement nos façons de produire et de consommer, ne se fera surement pas grâce à une pensée magique.  Car on s’attaque ici à rien de moins qu’à une véritable « religion », individualiste, celle de la consommation. La consommation étant devenue LA façon de vivre, celle du sacro-saint individu qui consciemment ou non, estime mériter « Sa » portion individuelle, « Son » muffin emballé, « Son » sucre en petit sachet sans oublié « Sa » portion de crème  emballée individuellement. Il ne faudrait surtout pas consommer du vrac… Séparez tout! Non! Comme le disaient en ouverture de colloque, l’anthropologue Serge Bouchard, pour changer vraiment nos façons de produire et de consommer, il nous faudra vraiment beaucoup de courage et de détermination. Mon professeur birman de méditation Vipassana, Goenkaji) dirait aussi dans sa grande sagesse,« Patiently et persistently », c'est-à-dire patiemment et avec persistance, mais j’oserais ajouter aussi personnellement et modestement ce qui suit… Pour en arriver à changer nos façons de produire et de consommer, à les changer vraiment, je crois non seulement qu’il nous faudra nous armer de patience, mais surtout être conséquents avec nos discours, et je m’inclus personnellement dans la critique.

Pas facile en effet d’être cohérent, dans une démarche qui en est à ses premiers balbutiements. La terre a en effet 4 milliards et demi d’années, et on ne parle de développement durable, en ces termes, que depuis 1987.  3 des conférenciers qui fanfaronnaient joyeusement le beau plan d’action en développement durable de leur employeur, s’en sont aperçus lors du colloque. Les porte-paroles des compagnies A. Lassonde, Cascades Groupe Papiers Fins, et Revenu Québec, se sont fait poser une petite question toute simple, mais disons-le, très pertinente et plus que révélatrice. On leur a simplement demandé après leur « numéro », si durant l’allocution qu’ils venaient de nous livrer, les notes de leurs discours avaient été rédigées recto verso? Vous conviendrez que c’est non seulement élémentaire, mais pour le moins incontournable, surtout si on est récipiendaire d’une distinction environnementale… Et la Réponse fut Non ! Nos plus plates excuses, mais, Non !

J’avoue que je souriais un brin cyniquement, en pensant déjà à l’anecdote que je vous raconterais dans cette chronique… Jusqu’à ce que mon grand gaillard de voisin de table me regarde et me dise, « Vous le journaliste?   Vous n’écrivez pas sur les deux côtés de votre carnet de notes? » J’ai pris très lentement une grande gorgée d’eau froide en me servant dans le pichet… À partir de cet instant précis, c’est drôle, mais j’ai curieusement utilisé les deux côtés des feuilles quadrillées de ma vieille tablette. Ce n’était pas la fois ou j’ai eu l’air le plus fou, mais pas loin. Je retiens la leçon. Nous nous devons d’être critiques. Cela dit, c’est facile de critiquer les autres, mais c’est aussi très constructif de se critiquer soi-même… Quand je vous disais que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

C’est un peu comme en juin dernier, lorsque j’ai accepté de participer à une invitation du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, qui voulait rencontrer les nombreux consultants en Développement durable dont je suis, pour favoriser un rapprochement. J’y suis allé parce que je trouvais l’idée noble… Sauf qu’au chic  Holiday Inn Plaza - Midtown de Montréal, pourtant classé 4 clés vertes par l’association des Hôtels du Canada, on nous a accueilli avec de grandes bouteilles d’eau en plastique, des sachets de sucre, et des portions de lait et de crème individuelles jetables, plutôt qu’avec des pichets d’eau, des sucriers et de petits pots de lait. Pauvre M. Lauzon… Il aura eu beau s’excuser, puis plaisanter tant mal que bien… Avant de se gargariser publiquement de grands discours, tous, et je m’inclue, nous aurions avantage à conjuguer et surtout à concrétiser au quotidien les valeurs de du développement durable qui nous sont si chères. Sinon nous ne serons que des contenants, sans trop de contenu…

Pour plus d'information

François Thibouthot
Adresse: Journaliste chroniqueur
Québec
Canada
François Thibouthot
Journaliste chroniqueur

François Thiboutôt est journaliste et chroniqueur. Fort de 25 ans d'expérience à l'antenne de Radio-Canada, TQS, Télé-Québec et TVA, il consacre désormais son travail de communicateur engagé, à vulgariser les grands enjeux de la consommation responsable et du développement durable. François Thiboutôt agit aussi comme consultant auprès d'entreprises et d'institutions désireuses de prendre un véritable virage vert. Il est membre de l'AProDD (Association des Professionnels en Développement Durable) Au sein de l'Agence de conférenciers en environnement et développement durable « Terre à Terre » il présente aux quatre coins du Québec, sa conférence portant sur l'empreinte écologique intitulée « L'Urgence d'une Consommation Responsable ».