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Crédits de Carbone ? J'Avion Compris…

14 octobre 2009

J’ai le « cul bordé de nouilles! » Pardonnez cette expression argotique qui veut simplement dire que je suis bien chanceux, mais je reviens d’un beau petit séjour en France, où j’ai réussi à fuir le mauvais temps du Québec, pour étirer agréablement l’été en Provence, à Paris puis en Normandie. Ça tombe sous le sens, je n’y suis pas allé à pied… Et ce n’est pas seulement que marcher 5300 kilomètres avec mon télescope entre Québec et la Ville lumière m’aurait épuisé, c’est surtout que ce petit étang qu’est l’océan Atlantique aurait vite eu raison du grand nageur que je ne suis pas. Tout projet d’y aller en automobile ou en train est d’ailleurs aussi rapidement tombé à l’eau… Une croisière en bateau aurait sans doute été plus romantique, mais puisque je n’avais que 18 jours, le seul aller-retour m’aurait pris tout mon temps. Ne restait donc plus que l’avion, ce qui est loin d’être idéal pour l’écolo que je suis. Car non, ce n’est pas super de s’envoyer en l’air !

On ne peut empêcher un cœur de touriste de rêver à Tahiti, Delhi, Nairobi ou Chicoutimi, n’empêche que l’activité a un méchant impact. Si on tient compte vraiment de la pollution en haute altitude, de 4 à 9% du réchauffement climatique, et non de 2 à 5% comme on le véhicule souvent, serait en effet dû au secteur de l’aviation. (https://www.climnet.org/EUenergy/aviation/2006-06_aviation_clearing_the_air_myths_reality.pdf) Vous me direz que c’est bien peu? Je vous répondrai que c’est relatif. Car le tourisme à l’échelle planétaire connait depuis 1950 une ascension vertigineuse qui va s’intensifier. On ne comptait que 25 millions de touristes internationaux en 1950, mais ils étaient 70 millions en 1960, puis au cours des quarante dernières années leur nombre a été multiplié par 10 pour atteindre les 700 millions en l’an 2000, et près de 900 millions de touristes en 2007. Ça en fait du monde et des décollages… Et ça en fait surtout des polluants rejetés lors de la combustion du kérosène, ce qui contribue à l'effet de serre et à la production d'oxydes d'azote dans la haute atmosphère. Tour de contrôle? Nous avons un sérieux problème!

Le pire c’est que d’ici 2020, c'est-à-dire demain, L’OMT prévoit que l’achalandage doublera encore pour atteindre le nombre record de 1 milliard 600 millions de touristes internationaux. Les voyageurs qui optent pour l’avion sont déjà responsables de 40 % des émissions de CO2 engendrées par cette industrie, et cela s’amplifiera souligne un récent rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). La croissance globale du secteur touristique, si on n’agit pas rapidement, pourrait en effet générer une augmentation de 150 % de ses émissions de CO2 au cours des trente prochaines années. Évidemment, avec le prix du pétrole qui a atteint et atteindra encore de nouveaux sommets, quelques compagnies aériennes ont déjà fait de réels efforts, mais cela ne suffit pas. Ils ont beau, ces dernières années, avoir modernisé leur flotte, amélioré le moteur et l’aérodynamisme de leurs engins et diminué la consommation de carburant de leurs plus modernes coucous, une certitude demeure. Avec une croissance exponentielle du nombre de touristes, ces mesures d’atténuation ne suffiront pas…

« J’ai vais donc agir » me suis-je dit pompeusement, en m’étouffant presque. Vous me connaissez, je crois beaucoup à ces petits gestes qui finissent par avoir un grand impact lorsqu’ils sont multipliés. Pour la toute première fois de ma vie, j’ai donc décidé de compenser concrètement la pollution générée par mon aller-retour Québec-Paris, en achetant des crédits carbone (Carbone offset). Depuis le temps que j’en parle dans mes chroniques et lors de mes conférences, je me devais non pas tant de donner l’exemple, mais d’être surtout conséquent avec mes valeurs. Mon père n’aurait pas aimé l’expression « crédits » de carbone, lui qui n’aimait pas le crédit et préférait payer comptant, mais j’aurais bien aimé lui expliquer ce que j’avion compris. Disons qu’à la base, l’attitude la plus écoresponsable aurait sans nul doute consisté à ne pas prendre l’avion. D’ailleurs quand on y pense, bien des gens d’affaires et des conférenciers pourraient en effet utiliser nos perfectionnés systèmes de vidéoconférence, plutôt que de se déplacer en avion. C’est souvent tout aussi efficace, moins dispendieux, et surtout pas mal moins polluant. Cela dit, oh honte, pour mes vacances j’ai quand même pris l’avion.

Or ma seule présence sur un vol aller-retour Québec-Paris et ses 10,595 kilomètres parcourus, lorsqu’on divise la pollution totale du vol par le nombre de passagers, a généré 1.17 tonne, 2400 livres donc, de Gaz à effet de serre. Ce seul voyage en avion a donc pollué autant que ma Toyota Matrix en quatre mois, le tiers de ma pollution automobile annuelle. En passant, si cela vous intéresse de calculer les GES générés par votre véhicule, découvrez le calculateur du programme Planétair (https://planetair.ca/index.php?sel_lang=french. Vous saurez combien de tonnes de CO2 a générées cette année votre vieux Plymouth, votre tout nouveau VUS ou votre dernière escapade à Cuba. 1.17 tonne de GES ?

Voilà pourquoi j’ai décidé de m’excuser auprès de dame nature, en m’amendant volontairement, comme si je dédommageais quelqu’un à qui j’ai fait du tort. J’ai donc acheté des crédits carbone Gold Standard à 39 $ la tonne, et tant qu'à faire, plutôt deux fois qu’une. J’ai en effet décidé de tenir compte du « forçage radiatif » et de compenser l’impact climatique de mon vol en haute altitude ou la plupart des émissions générées sont produites et provoquent une série de réactions chimiques qui accentuent leur impact sur le réchauffement du climat. Puisque le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que l’impact climatique global des avions est en effet de deux à quatre fois supérieur à ce qu’elles seraient en basse altitude. J’ai donc compensé 2.33 tonnes de CO2e et payé volontairement 84.35 $. J’aurais pu ne payer que la moitié, mais j’imagine que j’ai dû vouloir rattraper les dommages des voyages passés. Quoi? Non je n’ai pas d’argent à jeter par les fenêtres, d’autant plus que les hublots de mon airbus, heureusement, étaient étanches et ne pouvaient pas s’ouvrir.

C’est du serbo-croate pour vous tout ça? Ça ne me surprend pas, car seule une infime minorité de voyageurs compensent leur pollution, et bien peu de compagnies aériennes comme Air-Transat avec qui j’ai volé, ne nous offrent de le faire. Même ma voyagiste semblait perdue dans les nuages, lorsque je lui ai fait part de mon désir de voler vert. Faut dire que cette pratique n’est timidement offerte que par une quinzaine de grandes compagnies aériennes dont British Airways, Air Canada, Lufthansa, KLM, Air France, plutôt que des lignes aériennes de type WestJet, Air Transat, ou Southwest, qui eux n’en offrent pas, du moins pas encore. Non, mais, y’a-t-il un pilote dans l’avion ? Pourtant, l’alternative est en plein décollage. Attachez vos ceintures, mais de par le monde en 2008 et sur une base volontaire je vous le rappelle, on a vendu pour 460 millions, en dollar $ canadiens, de ces crédits de compensation carbone. Le leader québécois Unisféra et son programme Planetair, cette compagnie avec qui font  affaire les joueurs de la LNH pour compenser la pollution de leurs déplacements en avion, en vendra cette année 12,600 tonnes. C’est 25 fois plus que les timides 500 tonnes vendues en 2006. Et ça s’explique, car on peut compenser la pollution engendrée non seulement par nos déplacements en avion, mais aussi par nos transports en automobile, en moto ou en train… Certains de mes clients pour qui j’agis à titre de consultant dans leur virage vert ont en effet décidé de réduire leur empreinte climatique, en achetant volontairement des crédits de compensation de carbone, pour par exemple compenser la pollution de leur véhicule de services. Leur facture varie alors entre 120 et 200$ par année.

 

Mais kossa donne les crédits de carbone ? À se donner bonne conscience, me direz-vous? Plus encore ! À défaut d’empêcher ou de diminuer la pollution à la source, ce qui sera toujours le meilleur des choix, les crédits volontaires de compensation de carbone servent à réparer concrètement les pots cassés. Si on a émis comme dans mon cas 1.17 tonne de Gaz à effet de serre (ou le 2.33 tonnes c’est selon) je peux en effet, m’assurer qu’ailleurs dans le monde, on ne produira pas la pollution que moi j’ai engendrée. C’est ce que permettent les meilleurs crédits de carbone, et je vous dis ça, car il y en a de meilleurs que d’autres, ceux qui sont par exemple certifiés par des standards crédibles et exigeants comme Gold Standard, CDM, VCS, Climate Action Reserve ou Green-e Climate Protocol for Renewable Energy. Ces derniers supportent des projets dans le secteur des énergies renouvelables ou celui de l’efficacité énergétique. Et leur impact est d’autant plus grand dans les pays en développement où on produit souvent de l’électricité en brulant du charbon ou du pétrole ce qui produit énormément de GES. Vous voulez des exemples ? Je vous mets sur la piste. On investira par exemple dans une première centrale éolienne en Turquie ou dans des fours solaires à faible consommation énergétique dans le sud du Madagascar… Ça me semble pas mal mieux, que les taxes sauvages qu’on nous impose par exemple sur l’essence, et qui ne sont pas réinvesties dans l’entretien des routes… Ainsi, si d’un côté on a pu faire autrement que de polluer, on peut au moins de l’autre, aider à diminuer d’autant la pollution.

Bon alors, on s’y retrouve comment dans le monde des crédits carbone ? La question se pose d’autant plus que l’offre est relativement nouvelle et n’est toujours pas réglementée. Un conseil, prenez connaissance de cette étude réalisée tout récemment par la fondation David Suzuki et l’institut Pembina, pour l’instant malheureusement seulement en langue klingonne (https://www.davidsuzuki.org/Publications/offset_vendors.asp). Vous y découvrirez le palmarès des crédits carbone, ou trônent les bons achats LESS, CLIMATECARE, CLIMATE FRIENDLY, ATMOSFAIR, PLANETAIR (Ouf !), CARBONZERO et LIVCLEAN avec des notes de 82 à 85 pour cent. Et les autres dont on doit peut-être se méfier quelque peu, car certains produits malheureusement, ont peu ou pas d’impact sur la diminution des GES. En attendant 2012, ou les compagnies aériennes qui desservent l’Union Européenne seront forcées d’acheter des « quotas » qui correspondront à leurs émissions de GES, (qu’ils nous refileront dans le prix du billet), bon magasinage !

Pour plus d'information

François Thibouthot
Adresse: Journaliste chroniqueur
Québec
Canada
François Thibouthot
Journaliste chroniqueur

François Thiboutôt est journaliste et chroniqueur. Fort de 25 ans d'expérience à l'antenne de Radio-Canada, TQS, Télé-Québec et TVA, il consacre désormais son travail de communicateur engagé, à vulgariser les grands enjeux de la consommation responsable et du développement durable. François Thiboutôt agit aussi comme consultant auprès d'entreprises et d'institutions désireuses de prendre un véritable virage vert. Il est membre de l'AProDD (Association des Professionnels en Développement Durable) Au sein de l'Agence de conférenciers en environnement et développement durable « Terre à Terre » il présente aux quatre coins du Québec, sa conférence portant sur l'empreinte écologique intitulée « L'Urgence d'une Consommation Responsable ».