Mes amis, le moment n’est rien de moins qu’historique! Nos pelures de bananes et de pommes de terre, de même que nos feuilles d’automne, ne finiront désormais plus leurs vieux jours au dépotoir. Fini aussi le temps ou nos papiers et cartons d’emballages allaient mourir et pourrir dans un lugubre site d’enfouissement. Les choses vont changer, je vous en passe un papier, une fleur fanée et une patate. Il sera en effet d’ici peu interdit au Québec de jeter ce qui est recyclable ou compostable, et ce, pour deux bonnes raisons… La première raison, qui tient du gros bon sens, c’est que les matières organiques et les fibres n’ont jamais été des déchets. Lorsqu’on les revalorise, ce sont des ressources! Dieu que ça nous en prend du temps pour comprendre l’évidence. Deuzio? C’est bien beau promouvoir des mesures volontaires, et c’est normal qu’on ait dû commencer par ça, mais elles ont leurs limites. D’autant plus que statistiques à l’appui, la dernière politique gouvernementale en matière de gestion des matières résiduelles (1998-2008), s’est soldé avouons-le par un échec… (https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/Upload/Publications/MICI/Rendez-vous2009/Bilan2008.pdf)
Un échec? Wowo les propos orduriers… C’est-tu si pire que ça, me demanderez-vous? Ça dépend une fois de plus du point de vue. Il se trouvera toujours un casseux de party, qui vous dira qu’un bac à moitié rempli est un bac à moitié vide, plutôt qu’un bac à moitié plein. Que voulez-vous, nos perceptions mènent le monde. Cela dit, sur ce point bien précis, les optimistes ont raison. Sachez que le bac de recyclage est maintenant plus qu’à moitié plein… Pour la première fois de notre courte histoire, les Québécois ont récupéré et mis en valeur en 2008, plus de matières résiduelles (6 814 000 tonnes), qu’ils en ont jeté à la poubelle (6 219 000 tonnes). Bravo! Ouvrons une de nos fantastiques bouteilles de cidre mousseux ou de cidre de glace du Québec, et Hop! Sauf que, nous ne sommes pas pour autant plus avancés. Car de 1998 à 2008, on aurait dû atteindre un taux de récupération et de revalorisation de 60 %. Le denier bilan de la décennie de Recyc-Québec est clair, nous avons manqué le camion, et par la peau des fesses (il est d’ailleurs fortement déconseillé de composter ça). Nous ne récupérons et recyclons en effet que 57 % de ce qui peut être valorisé. On y était presque. Mais surtout, et c’est là que le bac blesse, malgré le succès de la collecte sélective qui a doublé ses performances depuis 10 ans avec une augmentation de 103 %, la quantité de détritus envoyés au dépotoir, loin de diminuer, a au contraire augmenté de 12 %. Nous n’avons donc pas réussi à réduire à la source, le satané problème.
Le gouvernement du Québec a donc décidé d’adopter des mesures plus musclées. Non, la « Récu » ne sera pas obligatoire. Par contre, d’ici 2013, il sera carrément défendu de se débarrasser du papier et du carton, dans nos sites d’enfouissement. Dans le même ordre d’idée, d’ici 10 ans, on y interdira aussi l’enfouissement des matières organiques, tels que les restants de tables, les feuilles et le gazon, de même que les boues de fosses septiques et d’épuration des eaux usées. Moi j’aurais bien aimé qu’on adopte le principe du PAYT (Pay As You Throw) et que tous les générateurs de matières résiduelles paient, et pas seulement les citoyens, en fonction du volume ou du poids de ce qu’ils jettent. Après tout, 7000 villes américaines et plus de 250 villes et villages au Canada et plus d’une quinzaine de pays d’Europe le font avec succès, mais passons (detail_chronique.php?ID=361753). Au moins, Québec passe à l’attaque, et s’inspire enfin de ce que fait la Nouvelle-Écosse depuis maintenant une douzaine d’années.
Mais c’est quoi cette fixation? Pourquoi diantre vouloir détourner ces matières organiques de nos biens nommés LET (Lieux d’Enfouissement technique)? Disons d'entrée de jeu qu’ils constituent presque la moitié (de 40 à 50 % en poids) de votre sac de poubelles. Et leur séjour au dépotoir ne constitue pas qu’une simple nuisance, au sens où on l’entend habituellement. Je ne veux pas tourner le ver dans la plaine, mais le problème avec les restes de tables et autres matières organiques, ce n’est pas seulement l’insalubrité, les odeurs, et l’incessant va-et-vient des goélands attirés par ce buffet « All You Can Eat ». (detail_chronique.php?ID=361799)
Lorsqu’on les entasse pêle-mêle, et heureusement loin des yeux et loin du cœur, ces déchets d’origine vivante se décomposent et dégagent d’importantes quantités de méthane. Les déchets humains seraient d’ailleurs responsables sur terre de 12 % de toutes ces émissions de CH4 (Méthane). On en parle moins souvent que du CO2, mais le méthane, dégagé aussi par les zones humides, les énergies fossiles et les ruminants rotant, a même un potentiel de réchauffement climatique 21 fois supérieur au CO2. C’est vous dire pourquoi on veut détourner de nos sites d’enfouissement, nos résidus organiques.
En passant, avez-vous remarqué que depuis le début de cette chronique, je parle de matières organiques et de résidus alimentaires ou verts. C’est volontaire… Comme le disait Réjean Pion, d.g. de la Régie intermunicipale d’Acton et des Maskoutains, ne faisons pas exprès pour dégouter les citoyens. Le pouvoir évocateur des mots est tel, qu’« organique » revêt un caractère beaucoup plus positif, fort, vivant, dynamique. J’ajouterais que c’est pas mal plus charmant en tout cas que « compostable » et surtout plus sexy que « putrescible ». Quand on veut convaincre les élus de procéder à la cueillette des résidus alimentaires, ou inciter les citoyens à composter, est-on obligé d’évoquer l’aspect décomposition et putréfaction. Organique? Moi aussi je préfère. Ce n’est pas tant un péché d’omission, qu’une façon de ne pas accentuer un éventuel irritant. Je me rappelle des grimaces d’un de mes clients lorsque nous avons voulu implanter la collecte des matières « putrescibles » dans les cuisines de son hôtel… D'entrée de jeu, il n’aimait pas, ça se sentait. Alors qu’organiques…
Bon c’est bien beau détourner nos résidus alimentaires, feuilles et gazon du dépotoir, mais pour en faire quoi? Du compost allez-vous me répondre en cœur de pommes? Bien sûr! Tout comme le font les propriétaires de quelque 150,000 composteurs domestiques au Québec, j’ai bien l’intention de continuer à en concocter dans ma cour, grâce à ma composteuse Lili. Comme ça je n’ai pas à mobiliser un polluant camion pour venir chercher mon résiduel trésor, et en plus, je sais ce que je mets dans mon compost et j’en contrôle la qualité… Cela dit ça ne composte pas fort au Québec… On a beau être passé de 109 000 tonnes à 167 000 tonnes de 2006 à 2008, on ne récupère que 12 % de toutes les matières organiques produites annuellement. Mais la 3e voie pourrait bientôt prendre enfin son envol. On aurait eu beau empêcher l’enfouissement des matières organiques dans nos dépotoirs bien avant, nous n’avions pas les infrastructures nécessaires pour traiter annuellement près d’un million et demi de tonnes de ces résidus. Sauf que là y du neuf. La ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Mme Line Beauchamp, a dévoilé un très significatif programme d’infrastructures de 650 Millions $ pour s’assurer du traitement de la matière organique, pour du compostage certes, mais aussi et surtout pour y pratiquer de la biométhanisation, c'est-à-dire la fabrication d’un nouveau carburant, le biogaz, à partir de ces résidus organiques.
C’est à la fois simple et complexe… GESsaie de vous vulgariser ça à l’instant. Dans les dépotoirs, en absence d’oxygène, nos résidus organiques fermentent et produisent déjà du méthane. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va provoquer cette fermentation ou méthanisation artificiellement, dans des biodigesteurs non pas à ciel ouvert, mais bien fermés. Les résidus alimentaires et verts, de même que les boues subiront alors une dégradation biologique accélérée, qui permettra de créer un biogaz alternatif à l’essence automobile traditionnelle. Quel est le gain environnemental alors, si on brule par la suite ce méthane si nocif ? Eh bien justement. Un peu comme le font déjà certains sites d’enfouissement qui brûle ce biogaz avec des torches allumées, la combustion du méthane ou du biométhane est moins nocive que si le gaz s’échappe tel quel vers l’atmosphère. En l’utilisant comme carburant ou pour chauffer des bâtiments, la combustion du méthane produit du CO2, du dioxyde de carbone. Or rappelez-vous c’est un gaz a effet de serre, certes, mais 21 fois moins nocif que le méthane libéré naturellement. Ah oui. Le procédé permettra aussi de produire des résidus qui pourront par la suite servir de fertilisant. En passant on appelle cette mixture du digestat. Quelqu’un à une idée géniale pour rebaptiser cette séduisante matière?
Déjà de telles usines de méthanisation sont en marche ou sur le point de l’être. À St-Hyacinthe (photo ci-contre) où en bon visionnaire on n’a pas attendu l’annonce gouvernementale, de grands silos, plus trapus que ceux employés en agriculture sont déjà bien visibles et sur le point d’amorcer leur mission. On y produira du biométhane qui servira à assécher les boues de l’usine de traitement des eaux, avant qu’on ne les achemine au site de compostage de Saint-Rosaire dans la région des Bois-Francs. L’initiative s’est d’ailleurs vue décernée le prestigieux Prix en infrastructures municipales remis par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire, le MAMROT (Décidément quel nom ragoutant! MAMROT du méthane?) en collaboration avec le Centre d'expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU).
Plusieurs autres projets de méthanisation ou de compostage de résidus organiques sont aussi sur le point d’être annoncés dans la région de Montréal, sur la Rive-Sud de la Métropole, à Québec, mais aussi à Rivière-du-Loup. Dans ma ville natale, on veut traiter les résidus organiques issus de la cueillette sélective, et en faire du biocarburant qui servira justement à faire fonctionner les camions qui effectuent la cueillette des matières résiduelles. Ça j’aime ça! Les camions qui viendront décharger leur organique contenu à l’usine seront donc déjà au bon endroit pour y faire le plein de biocarburant. C’est-ce qu’on appelle une opération payante autant au plan environnemental qu’économique. D’autant qu’on brise ainsi notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles.
Économiquement parlant, on estime que le feu vert de 650 millions pour ces nouvelles infrastructures de biométhanisation et de compostage devrait créer non seulement un intérêt soudain dans certaines municipalités, mais aussi 5000 emplois. Chaque tonne de matière récupérée et revalorisée crée en effet 10 fois plus d'emplois qu'une tonne de matières enfouies. En passant j’apprenais qu’une entreprise québécoise le groupe environnemental LABRIE, à St-Nicolas, fabrique déjà des camions de cueillette qui fonctionnent au biométhane. L’exportation de cette « nouvelle » génération de véhicules se fait surtout vers les États-Unis, mais gageons que ça risque fort de changer, avec l’instauration de la 3e voie, enfin, au Québec.