À chacune des étapes de la présente crise économique qui a commencé en 2007, il y a eu des politiciens et des analystes, tant aux États-Unis qu’au Canada, pour affirmer que le pire était passé, que tout allait reprendre son cours normal l’année suivante. Nous sommes ainsi passés d’un simple ralentissement économique à une récession, puis à une déflation. Mais nous voilà en 2009 et tout indique un approfondissement de la crise et un élargissement à l’échelle mondiale et force est d’admettre que la crise actuelle n’est pas sans rappeler la Grande dépression des années trente.
Le parallèle avec ces années terribles provient de plusieurs similitudes. La Grande dépression a également débuté aux États-Unis avec une spéculation excessive qui a entraîné un fort endettement et l’éclatement du système bancaire. Les métastases se sont ensuite répandues à l’échelle mondiale tout comme actuellement. En fait, il ne s’agit pas d’une crise cyclique habituelle, d’une simple récession qui revient à toutes les décennies ou presque. Le système financier mondial a du plomb dans l’aile et la blessure saigne abondamment. Une crise financière comme celle qui a débuté est plus sévère et plus longue.
Deux économistes, Carmen Reinhart de l’Université du Maryland et Kenneth Rogoff de Harvard, ont comparé diverses crises tant dans les pays développés que dans les pays dits émergents. Trois caractéristiques ressortent d’une crise financière. La première, les marchés boursiers chutent avec une perte des actifs de l’ordre de 55 pour cent alors que le prix des maisons décline de 35 pour cent, le tout sur une période de six ans. Deuxième caractéristique, une dégringolade de la production industrielle et des services avec un taux de chômage de plus de neuf pour cent. Enfin, l’explosion de la dette gouvernementale en moyenne de 86 pour cent.
Quand on observe ce qui se passe chez nos voisins du sud, ce diagnostic s’applique sans réserve. Tous les indices battent des records à la baisse, que ce soit la production industrielle ou l’immobilier. Les marchés boursiers ont chuté de 50 pour cent depuis leurs sommets en 2007. Les ventes au détail pendant la saison des fêtes ont été tout simplement désastreuses. Plus 650 000 emplois ont été perdus en décembre. Il y a maintenant 4,6 millions de travailleurs sur l’assurance-emploi, du jamais vu depuis 1982. Le déficit américain atteindra le record de 1, 2 trillions de dollars en 2009 selon une étude du Congrès. Plus de sept trillions de dollars ont été émis sous forme d’obligations pour éponger les pertes de toutes sortes. La planche à billets fonctionne à toute allure ce qui amènera inévitablement de l’inflation.
Une crise financière, selon les deux professeurs, dure donc plus longtemps qu’une simple récession. Mais quels sont les facteurs qui provoqueront une détérioration encore plus grande en 209? Pour trouver la réponse, il faut prêter attention aux quelques économistes qui ont vu juste jusqu’à maintenant, dont Nouriel Roubini. Tout un système financier s’écroule, en particulier le « shadow banking », les banques de l’ombre comme les fonds de couverture, les « hedge funds », qui ont lancé des produits financiers dangereux, toxiques pour toutes les institutions bancaires et non réglementés. Récemment le fonds Madoff qui bon an mal déclarait un profit de 15% pour ses investisseurs a révélé qu’en fait il faut plutôt parler d’une perte de 50 milliards de dollars. Madoff fait face maintenant à la justice américaine et à la colère de milliers d’investisseurs, souvent aussi des institutions municipales ou universitaires. Dans les trois prochains mois, ces mêmes « hedge funds » devront révéler leurs états financiers. Les analystes s’attendent à des faillites à répétition. Le système bancaire en prendra encore pour son rhume. D’autre part, les hypothèques commerciales vont éclater tout comme le marché immobilier résidentiel. Les ventes au détail sont en chutes libres et de grandes chaînes n’auront d’autres choix que de se mettre sous la protection de la Loi sur les faillites. Les propriétaires de centres commerciaux, d’hôtels et d’édifices à bureaux réclament à leur tour une aide gouvernementale après les trois grands de l’automobile en quasi-faillite.
Et le Canada, le Québec?
Après s’être « tapé les bretelles » en 2008 en affirmant que le Canada s’en tirerait mieux qu’aux États-Unis, voilà que nos économismes apportent quelques bémols. Lors d’une rencontre de l’Economic Club of Canada à Toronto, le ton était plus pessimiste alors qu’il a fallu admettre que les difficultés auxquelles sont confrontés nos voisins gagneront le Canada au début de la présente année avec de fortes turbulences. L’économiste en chef de la banque Toronto-Dominion, Don Drummond, prévoit un « premier semestre terrible ». La croissance économique sera nulle en 2009 alors que le chômage augmentera. Comment d’ailleurs le Canada ou le Québec peuvent-ils éviter une sévère crise alors que 75 % des exportations sont dirigées vers les États-Unis? Même notre vénérable ministre des Finances, Jim Flaherty, a été obligé d’admettre que les conditions économiques continuent de se détériorer. Avant les élections il parlait de la possibilité d’un surplus budgétaire. Un mois plus tard, il estime plutôt que le déficit pourrait plutôt atteindre 30 milliards de dollars en 2009. Alors on peut bien se passer de ses prévisions.
Les conséquences financières d’un tel déficit fédéral seront lourdes à porter pour le Québec qui n’a pas prévu dans son plan d’action une diminution importante des paiements sous forme de péréquation. On ne reprendra pas ici le débat sur les surplus ou non de la ministre Monique Jérome-Forget, mais il est fort à parier que le gouvernement du Québec n’aura tout simplement pas de marge de manœuvre pour faire face à la musique et qu’il lui faudra augmenter considérablement sa dette.
Il y a aussi des impacts sur le plan politique. Traditionnellement le gouvernement fédéral, lors de récessions importantes, retombe dans la centralisation et l’unilatéralisme en faisant fi des priorités des provinces. Les coupures dans le secteur culturel ne sont qu’un prélude. Et puis au Québec que deviendront les promesses de décentralisation en faveur des municipalités et un repartage de la fiscalité? La Fédération québécoise des municipalités, lors des dernières élections, a mis de l’avant trois chantiers pour le développement économique du Québec : l’occupation du territoire, l’autonomie municipale et le partage des redevances sur les ressources naturelles exploitées sur leurs territoires. J’ai l’impression que le dépôt du budget fédéral aura l’effet d’une douche froide sur un bon nombre de projets collectifs au Québec.