C’est aussi la politique stupide! Je paraphrase ici Bill Clinton qui, au cours de la campagne électorale contre Bush père, avait lancé un « It’s the economy stupid » pour se démarquer de son rival engoncé dans une guerre du Golfe. Aujourd’hui, alors que la panique s’est emparée des marchés boursiers, l’économie devient le seul slogan électoral comme ce fut le cas pour Stephen Harper et maintenant pour Jean Charest. L’idée de lancer un pavé dans la mare m’apparaît nécessaire alors que la campagne au Québec dérape sérieusement tandis qu’à Ottawa on a attendu après les élections pour reconnaître l’ampleur de la crise et la fin des surplus budgétaires.
Il ne s’est pas passé deux semaines pour que se réalise ma prédiction à l’effet que la crise économique évoluera plus rapidement que l’autobus des chefs de partis.*Le mot récession était à peine prononcé du bout des lèvres que le spectre d’une déflation court-circuite les plans de campagne et une pluie de promesses extravagantes. Cette nouvelle réalité démontre l’improvisation du gouvernement Charest et l’inutilité de se lancer en élection. Le premier ministre veut avoir les mains libres sur le volant pour « affronter la tempête », comme il le dit, mais la direction a été faussée au départ et les clignotants indiquent une surchauffe du moteur. Terminée l’illusion que le Québec traversera cette crise sans trop de problèmes grâce à l’injection de milliards virtuels.
Le premier symptôme d’une déflation semble plutôt bénin avec une chute de prix qui réjouit les consommateurs, particulièrement à la pompe. C’est d’ailleurs une bonne chose lorsque c’est le résultat d’une croissance de la productivité. Mais une baisse précipitée de la demande en biens de consommation indique un traumatisme plus profond et chronique. En fait, une déflation signale une récession plus aiguë qui s’accompagne d’un désinvestissement massif de la part des entreprises. Les inventaires sont vendus à perte. Les faillites et les fermetures d’entreprises augmentent avec le nombre de chômeurs en conséquence. Les banques ferment leurs guichets de prêts aux investisseurs et aux consommateurs. Aux États-Unis, l’indice des prix à la consommation a baissé de 1 % en octobre. Il faut remonter aux années trente pour trouver une chute aussi importante en un seul mois. Il faut dire que dans les deux dernières semaines de recensement, le nombre de nouveaux chômeurs a dépassé le million, soit autant que pendant les neuf premiers mois de l’année. Il en résulte donc une incapacité de rembourser des prêts, des faillites personnelles, davantage de maisons sur le marché avec une pression vers le bas sur les prix, une baisse généralisée de la consommation avec un effet boule de neige pour les entreprises.
À prime abord cela ressemble à une crise cyclique de surproduction qui intervient une fois par décennie et qui dure en moyenne deux ans. Mais aucune crise ne se ressemble parfaitement et encore moins celle qui secoue actuellement la planète. Le système financier international s’est désintégré avec une bulle spéculative dans les produits dérivés. La présente liquidation d’actifs durera longtemps.**La croissance économique de la dernière décennie a été supportée par un endettement excessif tant par des nations, entreprises que par les citoyens. Une bulle immobilière a éclaté aux États-Unis, en Europe et en Asie. Chez nos voisins du sud, le taux d’épargne frôle le zéro. Avec le chômage croissant, le gouvernement ne peut donc taxer davantage ses citoyens pour regarnir ses coffres et injecter de l’argent frais dans l’économie. Il a donc recours à un déficit budgétaire qui dépassera le trillion de dollars pour la première fois dans toute l’histoire du capitalisme. Avec les années d’imprévoyance, le cumul de la dette nationale atteint maintenant 10,7 trillions de dollars!
Lors de précédentes crises économiques, les États adoptaient une approche toute keynésienne : un support à la consommation par des investissements publics dans des infrastructures, une prolongation de l’aide aux chômeurs, diminution des taux d’intérêts et baisses d’impôts, quitte à accepter un budget déficitaire pour une courte période. Aujourd’hui la situation est totalement différente alors que les banques se décomposent et que les États croulent sous des déficits accumulés. C’est le cas du Québec avec une dette de 125 milliards. Leur seule marge de manœuvre consiste donc à gonfler les déficits alors que la crise actuelle découle justement d’un endettement excessif.
Bien sur le Québec, comme d’autres États, se doit d’intervenir pour amortir les impacts de la récession. Mais le plan lancé par le gouvernement Charest, dans sa hâte d’aller aux urnes, sous-estime la durée de la crise actuelle en prévoyant une reprise en 2010. Une déflation est une toute autre bête et pour la terrasser il faudra plusieurs années de sacrifices. Il a fallu une décennie au Japon, alors la deuxième économie mondiale, pour en sortir. Il vient d’ailleurs de replonger. La deuxième erreur du gouvernement c’est de prendre pour acquis les paiements de péréquation du gouvernement fédéral et les redevances d’Hydro-Québec. Comme on l’a vu la semaine dernière, le gouvernement fédéral a laissé tomber le masque une fois les élections passées. Le budget s’enfoncera dans les déficits à partir de l’an prochain. L’Ontario bénéficiera pour la première fois de transferts fédéraux. Il est question aussi d’un plan de sauvetage pour l’industrie automobile dans le sud ontarien. Quant à Hydro-Québec, une bonne partie de ses profits provient de l’exportation de l’électricité vers les États-Unis. Mais comme pour le pétrole, lorsqu’il y a une récession d’envergure la consommation en énergie diminue avec les fermetures d’entreprises. Les États de la Nouvelle-Angleterre, nos principaux clients, ne font pas exception. Bref les revenus de la province iront s’amenuisant alors que gonfleront les dépenses courantes.
Lorsqu’il y a peu ou pas de marge de manœuvre, il faut cibler très précisément les interventions de l’État. Il faut surtout investir dans des créneaux porteurs d’avenir, dans des infrastructures qui permettront au Québec d’être plus efficient et concurrentiel lorsqu’il y aura une reprise. Or le programme d’investissements de trente-huit milliards de dollars dans les infrastructures est non seulement irréaliste, compte tenu de la dette et la durée de la crise, tout en mettant trop l’accent sur le béton et l’automobile. Prenons l’exemple de la Chine. Les dirigeants ont annoncé des investissements de l’ordre d’un demi-trillion de dollars qui sera principalement dirigé vers la modernisation du transport ferroviaire, les aéroports et l’électrification du transport en commun. Non seulement la Chine n’aura pas à s’endetter puisqu’elle puisera dans ses réserves, mais elle sortira de la présente crise encore plus forte et concurrentielle que jamais.
La baisse du prix du pétrole n’est qu’éphémère. La déflation provoquera un désinvestissement dans l’exploration pétrolière, comme c’est le cas en Alberta. Les réserves ne seront pas remplacées alors que la majorité de la production mondiale provient de puits âgés de plus de 20 ans. Nous avons déjà atteint un sommet au niveau de la production et sommes sur la pente descendante. Le pétrole deviendra de plus en plus rare et dispendieux avec les ans et dès qu’il y aura une reprise économique les prix vont flamber à nouveau. Les coûts liés au transport des personnes et des marchandises deviennent un enjeu important. Actuellement des entreprises voient leurs marges bénéficiaires fondre en raison des coûts de transport par camions entre les régions. L’avenir passe par les liens ferroviaires et aussi le cabotage sur le fleuve. Il faut augmenter et électrifier le transport en commun dans les principales villes. Améliorer les installations portuaires. La sécurité alimentaire devrait être aussi une priorité. Plusieurs régions n’ont aucune production maraîchère alors qu’un grand nombre de terres sont laissées en friche. Nous dépendons de plus en plus des importations qui vont pourtant se faire rares avec la déflation et l’augmentation de la population mondiale. Les investissements en hydro-électricité devraient servir aussi à diversifier la culture sous serres. Les océans se vident de leurs ressources halieutiques. La pisciculture représente un créneau d’avenir.
C’est à la lumière de ces quelques priorités qu’il faut juger les plateformes électorales. Le manque de vison n’est pas le seul apanage du gouvernement sortant. Une crise comme celle qui se profile à l’horizon exige une plus grande éthique de la part de la classe politique. L’économie n’amalgame pas seulement la production et la vente de biens et de services, mais englobe aussi toute l’activité humaine. La politique peut toute aussi bien être un levier qu’un éteignoir. L’exemple le plus éclairant provient justement des États-Unis d’où dérive la présente crise. La politique du laissez-faire et de l’autorégulation des marchés au nom du néo-libéralisme a entraîné une économie de spéculations, la malfaisance de financiers, la complaisance de dirigeants politiques et d’entreprises, la dépendance des citoyens à la carte de crédit. La politique extérieure et intérieure du président Bush a été un véritable désastre. Le pays le plus riche du monde est devenu le plus endetté. Une période de grands bouleversements demeure néanmoins une occasion de redéfinir une responsabilité citoyenne, car elle exige une plus grande solidarité sociale. La présente campagne électorale est une occasion ratée à tous égards.
*Chronique du 9 novembre : « Crises, élections, leurres et petites politiques »
**Chronique du 26 octobre : « Un chaos total! Attachez vos ceintures ça va faire mal! »