La crise économique évoluera plus rapidement que les autobus des chefs de partis. Celui de Jean Charest a démarré avec des rétroviseurs désalignés de façon à estomper le paysage qu’il laisse derrière. D'ailleurs, sa ministre des Finances a fait le plein en carburant édulcoré qui pollue l’atmosphère de milliards chimériques. Cette campagne électorale lancée sous le prétexte d’une plus grande stabilité gouvernementale ne sera qu’ergotage, leurres, perte de temps et d’argent alors que la situation commandait un plan d’action immédiat pouvant mobiliser toutes les forces de la société. Car lorsqu’on regarde l’horizon sans les lunettes roses du conducteur, la route est plus périlleuse que ce que le carnet de bord laisse entendre aux différents arrêts.
Il ne s’est écoulé que deux semaines depuis ma dernière chronique exhibant des chiffres dramatiques que déjà d’autres ajoutent à une tourmente qui au fil des jours devient de plus en plus destructrice.*L’énoncé économique de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, véritable plateforme électorale, était à peine distribué aux médias qu’il sonnait déjà tout faux. Non seulement il n’y a pas une réserve de quelques milliards, mais tout au plus de quelques centaines de millions, alors que le diagnostic posé sur l’état de la situation économique mondiale et les perspectives pour le Québec devrait être revu et corrigé.
« Cette année et l’an prochain, la situation économique et financière du Québec en subira les contrecoups. Néanmoins, le Québec est en bonne position pour pouvoir traverser cette période d’incertitude. En effet, la gestion prudente et rigoureuse des finances publiques a permis de constituer une réserve budgétaire au cours des dernières années qui permet aujourd’hui au gouvernement de maintenir l’équilibre budgétaire. » (Le souligné est de moi). Dans ce seul paragraphe en introduction à l’énoncé de la ministre, on y trouve toute la naïveté et toutes les contradictions de l’actuel gouvernement.
Ce n’est pas un hasard si le mot « aujourd’hui » est glissé dans ce texte alors que des milliards sont promis pour des lendemains électoraux, qu’importent les déficits. Comme sous le régime du président Bush, ce document évite le mot récession pour parler plutôt d’un « ralentissement économique », de « turbulence financière » et présume que ce sera chose du passé d’ici deux ans. Les événements récents amènent nombre d’économistes à prévoir plutôt que la récession qui frappe particulièrement les États-Unis sera plus longue et douloureuse que prévu tout en étant mondiale. D'ailleurs, Barack Obama n’a pas été élu parce qu’il était afro-américain, mais parce que la situation économique est désespérée et qu’il représente le seul espoir de changement pour la population. Voici en quelques points ce sur quoi s’appuient plusieurs économistes de réputation internationale pour affirmer que la crise actuelle est la pire depuis des décennies, sinon depuis la grande dépression de 1929.
- La crise immobilière aux États-Unis s’approfondit et s’accélère avec une hausse effarante de faillites causées par un endettement exponentiel. La dette des ménages, incluant les hypothèques, est passée de 47 % du revenu en 1959 à 117 % en 2007. Si en 1952 la dette des ménages représentait 25 % du produit national brut, elle atteint maintenant 98 %. Pas d’épargne, pas de relance économique rapide. L’immobilier est également en crise en Europe et en Asie.
- Les pertes d’emplois bondissent. En une semaine, celle se terminant le 1er novembre, 481 000 travailleurs américains ont réclamé une première prestation d’assurances-emploi. Plus de 1,2 million de citoyens ont perdu leurs emplois depuis décembre dernier. Cela implique encore plus de faillites, de maisons à vendre ou de saisies.
- La production de bien et de services est en chute libre. Les indices de la semaine dernière ont atteint des bas observés lors des crises de 1974 et 1982. Les pertes pour les entreprises tant manufacturières que financières sont énormes. Les ventes d’automobiles ont baissé de 32 % en octobre. La société General Motors annonçait vendredi dernier qu’elle risquait de cesser toute production d’ici la fin de l’année parce qu’elle n’avait plus le comptant pour maintenir ses opérations.
- La spéculation financière de la dernière décennie, du jamais vu dans toute l’histoire du capitalisme et de l’humanité, a éclaté. Des trillions de dollars se sont envolés en fumée et l’incendie fait rage partout sur la planète. La Banque d’Angleterre a appuyé sur le bouton de panique vendredi dernier et a affirmé que le système bancaire international traverse la pire crise depuis plus d’un siècle.
-Le sauve-qui-peut suite à l’éclatement de la bulle financière force les spéculateurs à combler leurs prêts sur marge par la vente de tous leurs actifs sous la main à des prix dérisoires. C’est ce qui explique la chute des marchés boursiers dans le monde. Plus personne ne veut des centaines de trillions de dollars en produits financiers dérivés répandus partout sur la planète. Ce phénomène de liquidation d’actifs (develeraging) ne peut-être endigué sans créer un endettement encore plus considérable.
-La succession de chutes boursières qui en a résulté à entraîner dans le monde des pertes de 12 trillions de dollars en octobre et de 30 trillions depuis un an. Les caisses de retraite et les petits investisseurs subissent d’énormes pertes. C’est l’épargne de toute une génération qui s’évapore.
-Cette crise ne pouvait survenir à un pire moment alors que les baby-boomers prennent leurs retraites. Ils y entrent appauvris alors qu’ils comptaient sur la revente de leurs maisons, leurs caisses de retraite ou leurs placements en bourse. Le fardeau fiscal et financier pour les générations suivantes va être encore plus lourd à porter.
L’argument massue qui nous est servi par nos politiciens c’est qu’ici au Canada ou au Québec nous sommes en meilleure posture pour affronter cette crise. Rien n’est moins assuré même si les ménages sont moins endettés et les banques mieux capitalisées que celles de nos voisins. La Banque du Canada a dû les secourir avec un prêt de 25 milliards récemment. Les surplus budgétaires du gouvernement fédéral fondent comme neige au soleil. Ils étaient de plusieurs milliards encore les dernières années et on s’attend maintenant à un déficit. Quatre jours avant les élections fédérales, on a appris qu’il en coûtait 200 millions par jour pour une guerre en Afghanistan qui n’a jamais fait l’objet d’aucune consultation populaire. La facture finale pourrait s’élever à 18,1 milliards de dollars en 2011. Faut-il se surprendre des compressions dans le secteur culturel…?
Le point le plus névralgique demeure l’importance des exportations tant pour l’économie canadienne que québécoise. Notre principal client, les États-Unis, est fauché et les importations sont à la baisse. La demande intérieure au Québec ne pourra compenser le recul des exportations compte tenu de notre faible population. Le document du gouvernement Charest continue de faire miroiter la croissance des pays émergents et en particulier de la Chine comme un facteur positif pour nos exportations. Or l’indice de l’activité industrielle en Chine connaît sa pire baisse depuis 2004. Plus de 67 000 manufactures ont fermé dans les six premiers mois de l’année et le gouvernement s’attend à ce que 33 000 autres suivent d’ici la fin de l’année. Même si l’économie chinoise maintenait un taux de croissance autour de 7 %, ce qui est prévu, il faut en fait un taux de 9 à 10 % juste pour absorber les 14 millions de pauvres ruraux qui émigrent annuellement vers les villes. Un taux de
7 % équivaut à zéro pour nous. Les deux locomotives de la croissance économique mondiale ont déraillé.
En choisissant de monter à bord de son autobus, Jean Charest courtise l’électorat avec des promesses de milliards de dollars pour soutenir l’économie envers et contre une tendance mondiale. C’est moins difficile que de dire qu’il faudra se serrer la ceinture; ce qu’il faudra faire de toute façon après les élections. Tout comme il est aisé de dissimuler un déficit et ceux à venir avec une prodigalité en promesses électorales! Il y a un point de repère qu’il nous faut observer et c’est celui de la crise économique au début des années 80, tout en espérant que la crise actuelle ne sera pas plus grave. Des centaines de milliers de citoyens ont perdu leurs emplois. Les usines fermaient les unes après les autres. Des grèves sauvages ont éclaté. Des régions entières ont été plongées dans la précarité. La question se pose : si le gouvernement actuel est reporté au pouvoir, même avec une majorité, bénéficiera-t-il d’une plus grande stabilité si la population constate qu’elle a été leurrée avec des promesses électorales, un mirage de milliards qui va s’évanouir au fil d’un déficit qui gonflera comme la grenouille devant le bœuf?
Un plan d’action avec toutes les forces de la société aurait été préférable à cette tournée électoraliste. Les municipalités vont se retrouver dans des impasses financières énormes avec des dépenses quasi incompressibles. Ce sont elles qui devront par exemple renflouer les pertes en bourses des caisses de retraite. Pourront-elles renégocier leurs conventions collectives? Assisterons-nous à des grèves? Même chose pour la fonction publique alors que ballonnera le déficit et qu’il faudra se résoudre à couper dans la masse salariale. Le choix se posera entre garder un travail avec un salaire moindre ou le perdre. C’est d’ailleurs commencé dans le secteur forestier. Dans le passé, on a réuni autour d’une table gouvernement, patronat et syndicats. Mais on avait eu la décence de mettre les vrais chiffres sur la table. Une véritable stabilité passe préalablement par un large consensus social. Une seule « stabilité » du pouvoir par des décrets avec désordres sociaux assortis… Comme les régions dévitalisées auraient eu besoin dès maintenant de cette centaine de millions de dollars au lieu de ces autocars qui ne laissent dans leur sillage que pollution.
* « Un chaos total! Attachez vos ceintures, ça va faire mal ». Merci à tous ceux et celles qui m’ont écrit. Si vous voulez des références sur Internet pour de plus amples informations, n’oubliez pas de le mentionner.