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Vision de territoire, vision de pays sur fond de crise

28 septembre 2008

Qu’il y a-t-il en commun entre un petit village dévitalisé, une occupation dynamique du territoire, (le thème de la dernière assise de la Fédération québécoise des municipalités), et le chaos actuel du système financier international? Un peu tiré par les cheveux vous direz. Pourtant une ère vient de se terminer alors qu’éclate la plus grave crise financière depuis celle de 1929 qui a conduit à une dépression économique et à un conflit mondial. D’ailleurs au moment d’écrire ces lignes, tout le système financier international retient son souffle en espérant que le Congrès américain adopte des crédits de 700 milliards de dollars pour éponger un chaos bancaire aux proportions gigantesques. Que ce plan d’urgence soit approuvé ou pas, l’économie mondiale trébuche, la crise va perdurer et nul pays n’est à l’abri. 

Dans son discours aux quelques 2000 maires et conseillers municipaux, le premier ministre Jean Charest a réaffirmé que le Québec s’en sortira bien advenant une récession. Il est vrai que les investissements en infrastructures et les grands projets énergétiques vont permettre d’amortir le choc en provenance de nos voisins du sud.  Mais il s’est trompé en affirmant que la bulle immobilière et la spéculation financière aux États-Unis représentent « les causes » de la crise actuelle, deux phénomènes de moindre importance au Canada selon lui. Désolé, mais l’origine du chaos est idéologique : le néo-libéralisme à la base de la mondialisation et sa résultante jusqu’au-boutiste dans la déréglementation. Sans refaire toute l’histoire, je cite en exemple le lobby de Wall Street pour l’abolition du « Glass-Steagall  Act » en 1999, une loi qui réglementait les banques et les compagnies d’assurances pour éviter justement une autre crise spéculative comme en 1929. Avec le résultat qu’on connait maintenant!

Pourquoi ce détour? Parce que ça concerne la gouvernance, la façon dont les politiciens et les élites enfermés dans un discours de « libre-marché » conduisent les affaires de l’État et par ricochet la destiné de leurs citoyens. Au cours de l’été je me suis rendus dans plusieurs municipalités, quelques unes dévitalisées, d’autres très dynamiques. J’y ai perçu un courant de fond pour une plus grande autonomie, une autre vision du développement des communautés en butte à la mondialisation. Cette même impulsion, appelée « momentum » par plusieurs délégués, a immergé aux assises de la FQM, que ce soit en ateliers ou lors justement du forum sur « L’occupation du territoire : une dynamique de concertation ». C’est revenu comme un leitmotiv : la nécessité de remettre des pouvoirs de décision au niveau local, au niveau des citoyens. L’occupation du territoire est perçue comme vital non seulement pour les régions mais pour l’ensemble du Québec, rural ou urbain.

Le plan d’action

Au premier rang des victimes du développement économique inégal et exacerbé par la mondialisation, il y a ces 152 municipalités dites dévitalisées réparties sur tout le territoire. Plus l’éloignement des grands centres urbains est important, plus la croissance économique est négative. Il y a donc déclin de la population, chômage, pauvreté et perte de services de proximité de base aussi essentiels qu’une épicerie ou une station service. Ce n’est pas d’hier que la Gaspésie demande de l’aide mais ce récent recensement de villages dévitalisés a permis d’unir plus de voix, de créer une solidarité nouvelle, de s’interroger sur ses propres lacunes et de confronter le gouvernement.

Avec plusieurs mois de retard, le fameux plan d’action gouvernemental à l’intention des municipalités dévitalisées a été dévoilé aux assises. Mis à part une somme de 50 millions et une autre de 20 millions pour les technologies haute vitesse, toutes réparties sur cinq ans, c’est surtout le discours qui a changé. Car ce ne sont pas ces quelques millions annuellement qui vont assurer la relance des régions. Deux principes fondamentaux sont retenus : une occupation dynamique du territoire dans une perspective de développement durable et un rôle d’accompagnateur de la part du gouvernement alors qu’il revient aux municipalités de prendre le leadership de leur développement. Le nouveau mot d’ordre est donc une modulation de l’aide sous toutes ses formes plutôt que des interventions homogènes comme dans le passé.

Ce partenariat entre l’État et les municipalités est devenu incontournable alors que plusieurs communautés ont fait preuve de beaucoup d’originalité à travers les pactes ruraux et réussi à infléchir une tendance négative dans le développement de leur économie. Que ce soit par le biais de coopératives de solidarité, de projets communautaires ou en économie sociale, des milliers de citoyens ont pris la parole et mis l’épaule à la roue pour sauver leurs villages. Non seulement une nouvelle concertation est-elle en train de grandir mais aussi une nouvelle vision du territoire. En fait l’occupation du territoire passe maintenant par une vision citoyenne que bureaucrates et politiciens ne pourront faire reculer.

Entre le discours et la réalité il y a quand même un fossé, pour ne pas dire un précipice. Ce même gouvernement qui se targue de partenariat empêche par exemple les municipalités d’avoir de véritables redevances lors de l’implantation d’éoliennes sur leurs territoires. Pourtant lorsque celles-ci sont érigées sur une terre publique il y a une redevance obligatoire pour le Trésor. Pire, les promoteurs ne payent aucune taxe aux municipalités alors que ces dernières doivent entretenir de nouvelles routes et infrastructures. La FQM demande aussi des redevances pour les municipalités dont les ressources naturelles sont exploitées sur leurs territoires. En atelier la députée libérale de Mégantic-Compton, Johanne Gonthier, parlant au non de son gouvernement, a répété la même cassette à savoir que les différents programmes de subventions valaient mieux que des redevances qui peuvent fluctuer selon les cycles économiques. Comme si les deux s’opposaient et qu’il ne peut y avoir justement de la modulation, ce terme si cher maintenant à la ministre Nathalie Normandeau…Chassez le paternalisme et il revient au galop. Le zonage agricole a en également pris pour son rhume. Plusieurs municipalités en région se plaignent de ne pouvoir utiliser des terres impropres à l’agriculture pour des projets de développement ou de petites exploitations en agro-alimentaire. La Loi de protection du territoire et des terres agricoles interdit de subdiviser des lots et de nombreux jeunes n’ont pas le capital pour acheter de grandes superficies. Alors qu’est-ce qu’on attend pour moduler la Loi? Et puis dans la suite du rapport Pronovost, quand mettrons-nous fin au monopole de l’Union des producteurs agricoles pour reconnaître les autres organisations paysannes?

Même si les médias nationaux parlent peu ou pas de l’occupation du territoire, sur le terrain le débat est bien engagé. Je dirais même qu’il se dessine en région une nouvelle vision du Québec. Il fut une période où les idées réformatrices provenaient du centre pour être diffusées en « province » comme on disait. Mais il est temps que les urbains (et j’en suis un) entendent cette nouvelle solidarité qui n’a rien de folklorique mais est au contraire politique avec un grand « P ». De toute façon le Québec n’ira nulle part sans ses régions. Les grands centres profitent au plan de l’emploi comme des échanges commerciaux des activités sur le territoire. Et vice-versa. Chose certaine, le parti politique qui restera sourd à cet éveil en région connaîtra bien des déboires aux prochaines élections provinciales.

Pour plus d'information

André Lavoie
Québec
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André Lavoie