Dans le contexte d'un contrat d'entreprise conclu entre les parties, Experts-conseils RB inc. a réclamé à la Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac un solde contractuel de 1 021 239 $. Dans sa défense et demande reconventionnelle, cette dernière a allégué la fraude et l'abus de confiance de sa cocontractante. À la même époque, elle a publicisé le litige par voie d'un communiqué de presse sur différents sites Internet. En décembre 2003, les parties ont conclu une transaction pour l'action sur compte, et la nouvelle mairesse de la Ville a rédigé une lettre d'excuses dans laquelle elle affirme que les accusations portées contre Experts-conseils étaient non fondées et diffamatoires.
Le 14 août dernier, la juge Beaugé, de la Cour supérieure, a conclu que les allégations de la Ville étaient «téméraires, pernicieuses et calomnieuses, s'avérant inutiles pour contrer l'action sur compte» (paragr. 32). En fait, rien ne l'autorisait à ternir la réputation de la demanderesse. En raison du scandale provoqué par les allégations diffamantes, cette dernière, alors en plein essor, a perdu la confiance de ses clients, dont le nombre a diminué de façon radicale.
La juge a donc conclu qu'une indemnité s'imposait, laquelle a été fixée en tenant compte des éléments suivants :
- la gravité des allégations trompeuses, ainsi que l'effet dévastateur et l'instantanéité de leurs conséquences néfastes;
- le fait que ces mensonges émanent d'une corporation publique dont tout citoyen, fût-il corporatif, doit pouvoir attendre un haut niveau d'intégrité;
- l'abus de pouvoir et d'autorité que la faute de la défenderesse manifeste;
- la multiplicité des lieux de diffusion des allégations diffamantes (acte de procédure, médias écrits et électroniques);
- la notoriété de la demanderesse dans le milieu restreint des Basses-Laurentides et sa réputation enviable préalablement aux événements;
- le recours à un cabinet de communications et l'orchestration soigneuse de la publication des allégations diffamatoires;
- le caractère bâillon de la demande reconventionnelle de la défenderesse à l'action sur compte; et
- le délai de près de trois ans écoulé entre les allégations injurieuses et leur rétractation (par. 50).
Comme les tribunaux se montrent moins généreux dans l'attribution de dommages morauxaux personnes morales, car «ils estiment qu'elles n'ont pas de sensibilité, d'émotivité et de vie privée» (paragr. 49), la juge a condamné la Ville à payer 50 000 $ à ce titre à la demanderesse. Celle-ci a également eu droit à 1,8 million de dollars pour son préjudice économique.
Enfin, la défense et demande reconventionnelle mûrement réfléchie de la Ville jointe à son communiqué de presse dénote son intention de nuire à la demanderesse et de briser cette entreprise, qui la poursuivait pour honoraires impayés (paragr. 69). Dans ces circonstances, elle a également été condamnée à payer 30 000 $ en dommages punitifs.
Comme le souligne la juge, devant l'échec de la voie des négociations avec sa cocontractante, la Ville a choisi «malicieusement une arme fatale : la diffamation» (paragr. 70). Or, celle-ci n'entraîne pas uniquement des conséquences graves aux personnes physiques qui en sont victimes, mais également aux personnes morales, dont la sauvegarde de leur réputation est primordiale à leur existence.
J'ose espérer que cette décision aura un effet dissuasif sur quiconque voudrait appliquer «la stratégie» de la Ville dans ses relations avec autrui.
Référence
Experts-conseils RB inc. c. Ste-Marthe-sur-le-Lac (Ville de), (C.S., 2015-08-14), 2015 QCCS 3824, SOQUIJ AZ-51208555. À la date de diffusion, la décision n'avait pas été portée en appel.