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Le policier a-t-il commis une faute?

24 février 2017

Dans les derniers mois, plusieurs décisions concernant la responsabilité civile du policier dans le contexte de l'arrestation et de la détention d'un individu ont été rendues par les tribunaux. Celles-ci m'ont inspiré le présent billet, lequel se veut un bref survol sur le droit applicable en la matière.

Le 5 février dernier, dans l'affaire Leblanc c. Laval (Ville de), le juge Vallée, de la Cour supérieure, a commencé son jugement en écrivant ceci :

[1] Les policiers doivent enquêter sur les crimes. C'est leur devoir. Dans la grande majorité des cas, ils le font avec prudence et diligence. Or, il leur arrive parfois de commettre des erreurs, et ces erreurs sont susceptibles d'avoir de graves conséquences. Une personne innocente peut, à cause d'une négligence de la police, faire l'objet d'une enquête, d'une arrestation, puis d'un emprisonnement.

Ce recours prenait sa source dans un incident survenu en mai 2011 sur le terrain du commerce des parents du demandeur, Leblanc. Ce dernier est intervenu auprès de quatre jeunes qui ne semblaient pas vouloir quitter les lieux après la fermeture de l'établissement. À la suite d'une dispute verbale, les jeunes ont joint les policiers et ont affirmé que Leblanc les avait menacés de sortir son arme à feu de calibre 12. Deux policiers se sont présentés sur les lieux et ont procédé à l'arrestation de Leblanc. À la suite de négociations avec la Couronne, la plainte criminelle portée contre ce dernier a été retirée le 19 octobre 2011. Leblanc a entrepris un recours en dommages-intérêts contre la Ville de Laval et quatre de ses policiers.

Le juge Vallée a tout d'abord énoncé le principe suivant lequel la faute du policier, comme celle de toute personne, doit être analysée à la lumière de l'article 1457 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Le policier ne bénéficiant d'aucune immunité, il est civilement responsable des dommages qu'il cause par sa faute dans l'exécution de ses fonctions (paragr. 126).

Sa conduite s'apprécie selon la norme de la conduite d'un policier normalement compétent, prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Cette norme ne commande pas une démarche parfaite. D'ailleurs, la jurisprudence a reconnu que le policier pouvait, sans enfreindre la norme de diligence, commettre des erreurs sans gravité ou des erreurs de jugement aux conséquences fâcheuses. (paragr. 127 et 129)

Or, le tribunal doit évaluer le comportement des policiers au moment où les événements se déroulent et non avec le bénéfice du recul. De plus, dans l'évaluation de leur conduite, il y a lieu de tenir compte du fait qu'ils ont le devoir d'intervenir quand ils ont des motifs raisonnables de croire que le suspect a commis un crime ou est sur le point d'en commettre un. Ainsi, il est important de retenir que, si un accusé est éventuellement reconnu non-coupable ou que les accusations portées contre lui sont subséquemment retirées, la conduite des policiers chargés de l'enquête ne sera pas automatiquement présumée fautive (paragr. 130, 132 et 133).

En l'espèce, les policiers patrouilleurs possédaient, au moment de l'arrestation de Leblanc, les informations suivantes: les déclarations des quatre adolescents, qui leur paraissaient concordantes; la déclaration spontanée de la mère de Leblanc voulant que ce dernier ait effectivement mentionné qu'il irait chercher une arme à feu; la confirmation de son père, selon lequel il possédait plusieurs armes à feu; et l'existence d'un événement survenu en 2008 lors duquel Leblanc aurait fait un usage inapproprié d'une arme à feu, au même endroit. Les deux patrouilleurs avaient donc des motifs subjectivement et objectivement raisonnables de procéder à l'arrestation de ce dernier et, tout comme leurs collègues enquêteurs, ils ont agi comme des policiers raisonnablement prudents et diligents l'auraient fait dans les mêmes circonstances (paragr. 159, 160 et 163). En conséquence, le recours a été rejeté.

Autres situations

Dans Brochu c. Québec (Ville de), la juge Carrier a conclu que les constables qui avaient procédé à l'arrestation de Brochu au motif d'intimidation d'une personne associée au système de justice, une infraction prévue à l'article 423.1 du Code criminel, avaient été intolérants relativement aux agissements de ce dernier. Selon la juge, les constables ont agi de façon impulsive et ils ont manqué à un devoir, celui d'appliquer correctement la loi dans le cadre de leurs fonctions. Dans ces circonstances, l'arrestation du Brochu a été jugée illégale. Celui-ci a eu droit à 1 000 $ à titre de dommages moraux pour atteinte à sa liberté et à sa digité ainsi que pour humiliation.

Le 25 août 2016, le juge Edwards, de la Cour du Québec, a condamné la Ville de Montréal à payer la somme 9 000 $ en dommages moraux à un homme qui avait fait l'objet d'une arrestation, d'une fouille et d'une détention illégales et fautives par l'un de ses policiers.

En octobre dernier, dans Lupien c. Aumont, le demandeur, qui avait été illégalement arrêté, menotté et détenu durant une période d'environ 12 heures, a notamment eu droit à une indemnité de 12 000 $ pour compenser le stress, l'angoisse, les troubles et inconvénients ainsi que l'humiliation qu'il avait dû supporter relativement à ces événements. Toutefois, comme il avait commis une faute contributoire et que la responsabilité avait été partagée par le tribunal entre les policiers (1/3) et Lupien (2/3), celui-ci n'a reçu que 4 000 $ à ce titre.

Enfin, sachez que si vous désirez réclamer à une municipalité des dommages-intérêts résultant de fautes ou d'illégalités commises par l'un de ses employés, l'article 586 de la Loi sur les cités et villes prévoit que le délai de prescription est de six mois à partir du jour où le droit d'action a pris naissance, ce qui est relativement court! À ce sujet, je vous renvoie à l'affaire Pietrangelo c. Repentigny (Ville de). Bonne lecture!

Références

  • Leblanc c. Laval (Ville de), (C.Q., 2016-02-05), 2016 QCCQ 872, SOQUIJ AZ-51257332, 2016EXP-1065, J.E. 2016-571.
  • Brochu c. Québec (Ville de), (C.Q., 2016-07-05), 2016 QCCQ 6703, SOQUIJ AZ-51306745, 2016EXP-2905.
  • Freyre Arzate c. Chartrand (C.Q., 2016-08-25), 2016 QCCQ 9725, SOQUIJ AZ-51325868, 2016EXP-3423, J.E. 2016-1866.
  • Lupien c. Aumont (C.S., 2016-10-19), 2016 QCCS 5050, SOQUIJ AZ-51333654. À la date de diffusion, la décision n'avait pas été portée en appel.
  • Pietrangelo c. Repentigny (Ville de), (C.Q., 2015-12-22), 2015 QCCQ 14479, SOQUIJ AZ-51249643, 2016EXP-813, J.E. 2016-422. Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2016-02-26), 2016 QCCA 367, SOQUIJ AZ-51258673, 2016EXP-890.

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Pour plus d'information

Me Julie Pomerleau

MeJulie Pomerleau
Avocate

Julie Pomerleau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2009. Elle écrit pour L'Express en matière de droit municipal, des assurances, de la responsabilité et des dommages. Avant de passer dans l'équipe de rédaction, elle a agi à titre d'agente de formation au sein des Services à la clientèle. Enfin, elle a débuté sa carrière dans le milieu juridique au Service des affaires juridiques de la Ville de Sherbrooke, où elle exerçait la fonction de conseillère juridique-recherchiste.